Ecorcée

Bois de structure, vis, dosses de bois, clous,
Dimensions variables, (jusqu’à 5 mètres de hauteur),
2021

Création spécifique au Musée Dauphinois de Grenoble – propriété du département de l’Isère. Invitation pour investir la cour du cloître du musée, en écho à l’exposition Amazonie, forêt monde présentée dans les murs du musée dans le cadre de la saison culturelle « L’appel de la forêt » déployée par le département.

La forme qui investit ce lieu s’inspire des racines échasses (ou genouillées) et pneumatophores que l’on peut voir dans les mangroves notamment. A moitié immergé, à moitié en surface, ces éléments évoquent deux mondes cohabitants. Zone intermédiaire, charnière entre deux milieux (terrestre et aquatique), frontière mouvante marquée par sa densité.

Souvent connoté péjorativement ces barrières infranchissables, marécageuses, sont pourtant riches, protectrices et essentielles à leur environnement. Ce principe de frontière, de passage, de transition mêlant opposition et symbiose m’attire pour ce qu’il peut questionner de la relation au monde entretenu par nos sociétés contemporaines.

Ici, ces émergences racinaires surprennent par leurs dimensions. Un gigantisme nous évoquant un temps originel où le végétal était maître. Retrouvées là, à flanc de montagne, presque piégées dans l’architecture, ces racines suggèrent que cette vallée, avant, pouvait être submergée. Les courbes, rappelant les arches du cloître, se confrontent au dessin carré et anguleux de la cour centrale. Comme cernées par l’architecture, se débattant ou s’adossant contre elle… se posant sur la pierre et (re)plongeant dans la terre.

Comme un chantier archéologique remet à nu l’histoire cachée sous les couches du temps et des sédiments, ces géants revoient le jour, comme si un décaissement, lié à un terrassement ou à une érosion, les avaient découverts. Mais en partie seulement, nous ne voyons, pour certains, que la dorsale, le reste encore plongé dans le monde souterrain, laissant imaginer son système rhizomique proliférant sous nos pieds et nos constructions.
Parlant à la fois du visible et du caché, d’un ici et maintenant tout en nous plongeant dans un ailleurs. Une force de présence nous interpelle par sa puissance presque tellurique, entre mouvant et figé, entre dynamique vivace et coques pétrifier, ces entités quasi-préhistoriques opèrent un déplacement temporel, géographique et topographique.

Le corps se confronte alors à la matière, aux échelles, l’obligeant à se repositionner, à reconsidérer son espace et à se resituer face au monde que ces formes invoquent.

Esquisse du projet Écorcée, A4, 2021.


Une histoire qui continue…
Ce projet s’inscrit dans la continuité d’une histoire qui a débuté à l’Abbaye de l’Escaladieu dans les Hautes-Pyrénées.
Une souche géante y a été construite. Souche est comme son nom l’indique un élément fragmenté d’une entité plus grande, dont une partie est enterrée (racines) et l’autre absente (tronc et branches). Ainsi la part invisible de ce projet est importante car l’on pourrait trouver ces éléments ailleurs. Un déplacement de la partie sectionnée permettrait d’imaginer en voir, au moins un fragment, dans un autre lieu, tout comme les racines qui peuvent s’étendre et ressurgir dans une autre zone.

Un autre travail a été réalisé au musée des Beaux-Arts La Cohue de Vannes (Intrant) dans cette même lignée narrative et plastique. Comme si un élément de ce végétal d’un autre temps avait été retrouvé «sous cloche» au sein des pierres du musée. Une autre partie disloquée qui mute au fil de son écorce jusqu’à glisser, presque, vers quelque chose d’animal. Sorte de chrysalide, cette masse creuse était elle aussi sectionnée ou plutôt arrachée d’une globalité plus grande.

Ici le projet continue dans cette idée d’une présence appartenant à un ensemble que l’on ne voit pas, et affirme ce principe d’une entité qui est présente, ou du moins éparpillée, sur un vaste territoire encore à définir. Comme si ces géants étaient bel et bien là avant nous et que nous les redécouvrons un par un et pour autant ne les cernant pas plus à chaque fois car un élément nous échappe à chaque rencontre. Comme les pièces appartenant au même puzzle mais qui pourtant ne s’emboîtent pas tout à fait les unes aux autres.

Malgré la force que l’on pourrait concéder à cet(s) être(s) géant(s) (est-ce le même ou sont-ils plusieurs?) et le caractère naturel, voire originel du propos qu’ils peuvent amener, l’Homme est présent en lame de fond. En effet, que ce soit par la coupe franche de Souche que l’on peut lui attribuer ou par la présence de l’architecture historique (La Cohue de Vannes ou le cloître du musée dauphinois), c’est bien l’Homme qui occupe et maîtrise (ou pense maîtriser) ce monde aujourd’hui. Sorte de David contre Goliath ou la dualité n’est pas aussi franche, car la domination de l’un sur l’autre pourrait finalement être sa perte…