Textes

Faire jaillir des portions de réel.

Un désir du saisir et du faire par le vif.

Les notions de rupture, d’équilibre, de précarité, de parasite, de rebut et
d’interstices sont pour moi autant de façons de poser des actes de résistance.

Questionner le potentiel caché.
Interroger les espaces et nos habitudes d’appréhension par des affronts face à la matière.

Confronter l’intrusif à l’établi, l’aspérité face au lisse…

Interpeller par une lecture physique et directe notre image admise et confortable face à
notre environnement construit.

—————————————————————————————————————————————————————————————————–


Texte issu du livret de résidence #31 de Simon AUGADE à l’Usine Utopik, rédigé par Odile CRESPY, septembre 2014 :

« Je cherche à repousser les limites de l’appréhension de l’espace en sortant du cadre normatif de la société. »   Sergio PREGO*

 » Vues dans leur ensemble, les installations de Simon AUGADE réalisées depuis sa sortie de l’Ecole des Beaux-Arts de Lorient où il a passé cinq ans, permettent de saisir l’homogénéité nuancée de sa démarche en même temps que le dialogue récurrent entre le géométrique et l’informel, la ligne (comme norme) et le débord, les contraintes intérieures et le besoin irrépressible de les transgresser. Il fait sien l’objectif du sculpteur Gordon MATTA-CLARK, un des fondateurs du concept d’anarchitecture, qui se réfère lui-même au mouvement dadaïste des années vingt : il s’agit d’opposer une attitude alternative aux structures urbaines ou mentales par une perturbation imaginative de la convention comme force essentielle de libération. Il joue aussi de concepts dont il explore méthodiquement les différents champs dans le dictionnaire et qui deviennent en quelque sorte des « mots-clés » pour lire son œuvre tels : barricade, limite, norme  ; porte, passage, seuil, franchir ; concret, contact, solide, confronter ; croissance, expansion, extension… qu’il va tenter de concrétiser.
C’est ainsi que dans l’exécution précaire et éphémère de ses installations ou « sculptures d’assemblage » il va traduire cette dualité, choisissant souvent comme repoussoir (il ne s’agit pas de choix esthétique) un bâtiment existant ou qu’il construit sommairement
lui-même, dont la finalité, réelle ou virtuelle, répond à une convention de fonctionnalité, dont l’un des bâtiments de la Cité Radieuse conçue par LE CORBUSIER pourrait être un exemple : en fait une « machine à habiter » qui tue les élans de l’imagination et les forces mentales en assurant un confort de bon aloi rendant l’utilisateur passif. A cette façade mortifère il oppose un amoncellement de matériaux –  généralement des planchettes de bois aggloméré ou morceaux de vieux meubles au rebut symbolisant la vie quotidienne matériellement et mentalement   –   qui vont parasiter par leur expansion et leur prolifération l’élément premier. Parfois, pénétrant dans l’habitacle, notamment dans le Bureau de la Direction, froid et neutre, il en perturbe l’ordre en recouvrant d’un «  filet  » de lamelles cloutées l’ensemble du mobilier… Impressionné par le Merzbau de Kurt SCHWITTERS, où l’artiste allemand accumulait autour d’une colonne de son atelier, dans une œuvre au mouvement ininterrompu (« l’œuvre de sa vie ») des objets hétéroclites d’art et de
« non-art », qui se développait sur deux étages comme un organisme vivant, Simon AUGADE se plie à des contraintes diverses : portes obstruées, parois résistantes, seuils infranchissables et autres obstacles. Son discours aborde le fait social lorsqu’il donne son interprétation personnelle des « hétérotopies » du philosophe Michel  FOUCAULT, des lieux marginaux, qu’ils soient du domaine de l’esprit ou de l’habitat : non sans humour il apporte encore une fois sur la Place du Parlement de Rennes une montagne de planches de bois colorées et autres débris provenant de bidonvilles qu’il expose en plein centre sous la forme d’un (faux) cube qui paraît s’enfoncer dans le sol.  Contrairement à la Pyramide du Louvre, sobre et transparente, de Leoh MING PEI qui veut refléter les nuages et les étoiles sans porter atteinte à l’emblématique palais, le « cube » de notre artiste, par sa confrontation provocatrice avec un bâtiment répondant à tous les canons de l’architecture institutionnelle de l’époque, veut attirer l’attention sur ce qu’on ne veut pas ou plus voir. A la fibre sociale s’ajoute l’expression d’une préoccupation d’ordre écologique : contre un muret situé en bord de plage, surmonté à quelque distance d’une ligne de pins parasols, une masse informelle de brisures de bois joue doucement du mouvement de l’eau (c’est la marée haute), se reflétant près des galets vus en transparence… A marée basse, ce n’est plus qu’un amas de bois mort semblant s’éjecter de la bouche d’égout. Cette idée de double face, de masque, se retrouve dans cette sculpture où un toit à deux pans, sobre et neutre, semble vouloir domestiquer un fatras de lattes qu’il ne peut contenir…

Dans la réalisation de ses sculptures-installations, l’artiste s’investit tout entier dans un corps à corps très physique, souvent risqué, « mettant parfois, avoue-t-il, la barre un peu haut » dans sa volonté d’agripper l’espace, se faisant tantôt maçon, tantôt menuisier… ou funambule. C’est aussi pour lui une façon de mettre en évidence la précarité, la fragilité, la bancalité, l’éphémérité… de la vie. Il invite le spectateur à s’interroger, à transgresser ses propres frontières pour trouver, dans le combat contre les obscurantismes, … la lumière. « 

*Sergio PREGO : artiste basque espagnol né en 1969